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le dragon rouge.

— Nous nous sommes beaucoup occupés de nous-mêmes.

— Voyez-vous, ces petits égoïstes !

C’est à peine si la marquise crut avoir répondu à sa fille.

— Savez-vous ce que nous disions ? D’abord, que, dans deux ans, Tristan aurait dix-sept ans, et moi quinze ans, ou bien près de quinze ans.

— Mais oui, c’est fort exact, dit la marquise en soupirant.

— Ce que je dis vous ferait-il de la peine, maman ? Vous avez soupiré.

— Chère bonne, dit la marquise en pressant les joues de sa fille sous un long et pesant baiser, je soupire, ne le devinez-vous pas ? parce que je pense aux changements que ces deux ans peuvent apporter dans la vie.

— Quels changements apporteraient-ils ? N’êtes-vous pas heureuse ? craindriez-vous de cesser de l’être d’ici-là ? Est-ce que nous ne vous aimerons pas toujours ? Vous êtes donc décidément mal disposée, inquiète ce soir, chère maman ?

— Moi, inquiète ! quand je vous ai sur mon cœur.

— Est-ce que cette pendule n’irait pas ? pensa la marquise, et elle dégagea de sa ceinture une petite montre enchâssée derrière sa cassolette. Mais elle va bien. Il n’y a donc que dix minutes que je suis ici ! Que se passe-t-il là-bas, au théâtre ?… Lorrain, je pense, sera bientôt arrivé chez le ministre… J’étouffe… je voudrais être partout.

— Ce n’est pas pour moi, reprit la marquise, en faisant asseoir sa fille auprès d’elle, que je suis inquiète de voir arriver les années, mais c’est pour vous.

— Pour moi ! Dans deux ans j’aurai quinze ans ; est-ce qu’on est malheureuse ordinairement à cet âge ? L’auriez-vous été ?

— Non, chère étourdie, on ne connaît pas encore le chagrin à cet âge ; mais on n’est déjà plus un enfant. Beaucoup de jeunes filles se marient à cet âge.

— Ah ! quant à moi, voilà, puisque vous désirez le savoir, ce que je disais à Tristan ce soir : je ne me marierai pas, afin