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le dragon rouge.

Casimire resta neutre dans cette négociation. Mais, quand le marquis ne fut plus présent, le commandeur répéta ses scrupules à Casimire. Ne voulant pas cependant, aux yeux d’une femme qui les comprenait si peu, se croire trop dangereux, il se borna à lui demander timidement si elle était décidée à braver l’opinion des gens disposés à ne pas accepter ce voyage sans interprétations ? N’exposaient-ils pas l’un et l’autre le marquis à jouer un rôle fâcheux dans les commentaires de la calomnie ?

Casimire, n’acceptant la contradiction que sur le terrain factice où le commandeur l’avait placée, soutint qu’il n’appartenait pas à la société italienne, la plus relâchée du monde, de blâmer le voyage d’une belle-sœur et d’un beau-frère. Ceci répondait victorieusement au commandeur au sujet des propos qu’il craignait de la part des personnes qui le connaissaient. Pour rassurer les étrangers, ils se feraient passer chez eux pour le mari et la femme. Ainsi, au dedans comme au dehors, plus d’aliment à la médisance. Au surplus, elle ne pouvait accomplir le voyage de Rome sans être accompagnée, et ce voyage était indispensable. Le voyage à Rome fut donc convenu.

Quelques jours après, ils partirent ; ils quittèrent le marquis de Courtenay, qu’ils laissèrent dans une des situations d’esprit les plus lucides où il eût été jusqu’alors.

Ils jouirent d’un temps admirable ; en sortant de la zone, belle, mais restreinte, de leur villa sur l’Arno, ils secouèrent des pensées qui avaient pesé trop longtemps sur leur front. Le voyage fut tout à la science, à la nature, à l’histoire, à l’érudition. Un air différent leur fit des idées nouvelles, et, comme conseillés par un instinct pudique, ils évitaient de s’abandonner au silence, ce dangereux tiers dans certains tête-à-tête. Enfin, ils arrivèrent à Rome.

Pendant les huit jours qu’ils y passèrent, ils furent trop occupés de recherches bibliographiques pour se laisser envahir par la langoureuse mélancolie qui s’élève du fond de cette