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le dragon rouge.

villageoise les avait salués en passant. C’est ce qu’ils se confiaient en descendant les coteaux boisés de cèdres, voilés d’ombre, bleuis de violettes, parfumés de feuilles de menthe. Ils avaient peur de s’asseoir, et pourtant ils s’asseyaient ; ils avaient peur de se taire, et pourtant ils se taisaient des quarts d’heure entiers ; ils avaient peur d’être trop près l’un de l’autre, et les rubans de la coiffure de Casimire venaient effleurer le front du commandeur ; ils avaient peur de tout, et tout les menaçait dans cette retraite. Il n’est pas jusqu’aux deux chers petits enfants de la marquise, Tristan et Léonore, qui ne fussent d’éternels objets d’inquiétude pour eux. Tristan et Léonore ressemblaient au commandeur, Léonore surtout ; aussi Casimire n’osait presque jamais l’embrasser devant lui, si ce n’est lorsqu’elle voulait cacher quelque larme ou quelque rougeur subitement venue.

Leur vie devait être une épreuve constamment renouvelée, dont Dieu seul connaissait le terme et l’issue. Que de fois la loyauté antique du commandeur et la force d’esprit de Casimire, elle qui pressait entre les plis de son beau front, lorsqu’elle méditait, le passé et l’avenir des nations, arrivèrent aux avant-derniers soupirs d’une lutte courageuse !

Vers le milieu de l’automne, et pendant une trêve bien marquée dans les manies du marquis, Casimire exprima un jour le vif désir de consulter un ouvrage de l’historien Guichardin, dont le manuscrit original était à Rome, à la bibliothèque du Vatican. Le marquis engagea beaucoup Casimire à le satisfaire. Rome n’est pas loin de Florence. C’était une absence de quelques jours, un voyage charmant à entreprendre dans la saison où l’on était. Ne pouvant accompagner sa femme, le marquis de Courtenay pria son frère de le remplacer. Le commandeur ne connaissait pas Rome ; l’occasion venait à merveille.

Le marquis combattit un à un tous les refus de son frère ; il insista, il pria, il n’admit aucune raison, aucun prétexte de sa part pour ne pas céder. Enfin il décida le commandeur.