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le dragon rouge.

velant à chaque heure, comme elle, l’effort de son sacrifice, s’épuisant à le maintenir à une hauteur héroïque, sans oser se plaindre, de peur que sa plainte n’éveillât une consolation. Casimire dut chercher alors dans la société sévère des livres une préoccupation à ses déchirements intérieurs. Ainsi les cénobites allaient autrefois chercher au désert l’isolement absolu dont ils avaient besoin pour mieux oublier le monde qu’ils fuyaient, qu’ils regrettaient en fuyant. Ce courage imposé ne la trouvait pas toujours assez forte. Il l’emportait sur la résistance, rompait les cercles de sa volonté, et c’est aux pieds de celui-là même en qui elle espérait rencontrer un appui que, brisée par la violence intérieure de ses sentiments, elle achevait sa défaite. Défaite silencieuse comme ses combats, et dont le commandeur la relevait doucement quand ce n’était pas à son tour à fléchir.

Le commandeur avait voulu cesser d’habiter avec eux l’Italie ; il avait demandé à Casimire la triste faveur de ne plus respirer l’air qu’elle respirait dans cette atmosphère de la Toscane, qui rend si pénible le devoir ; mais Casimire l’avait retenu en lui disant que, si elle avait eu la force de se marier avec le marquis, elle n’aurait jamais celle de vivre seule avec lui. Il lui fallait, pour son repos, avoir toujours sous les yeux le pilote qui l’avait conduite dans ce dangereux port, près d’elle celui qui l’avait entraînée à consentir à ce mariage ; il lui importait de retrouver sans cesse la cause de sa faiblesse pour ne pas la maudire.

Le commandeur avait donc consenti à rester en Italie, à vivre avec son frère et Casimire dans la belle propriété qu’ils habitaient sur l’Arno, à deux lieues de Florence.

Il se résigna au triste spectacle de voir Casimire attachée sans conviction à la vie de son frère, s’efforcer de la soutenir par des soins affectés, et renouveler ainsi, à chaque instant, le mensonge d’une position dont il s’accusait. Il savait que Casimire n’aimait pas le marquis ; il savait donc qu’elle jouait une