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le dragon rouge.

pas sans être obligée de recourir bientôt à la pitié des étrangers ? Ce n’est pas mon frère le commandeur, tout bon qu’il soit, qui vous ouvrira ses trésors. Pauvre frère ! j’ai su vos grands succès à l’armée ; ils m’ont ravi, ils m’ont touché ; le vieux sang des Courtenay a remué en moi. Vous m’avez fait brave pendant tout un jour.

— Vous êtes brave aussi, puisque vous voulez que je le sois pour avoir fait mon devoir, reprit le commandeur en serrant sur son cœur, avec une respectueuse intimité, son frère le marquis, dont la débilité lui remplissait l’âme de doutes terribles et les yeux de larmes, qu’il s’efforçait d’éteindre sous une perpétuelle expression de bonté. Je suis content de vous revoir, bien heureux, ajouta-t-il, et, puisque vous m’accueillez si cordialement, mon frère, permettez-moi de ne pas approuver ces marques d’extrême désespoir étalées avec profusion dans votre hôtel. Vous avez cru, je le sais, à un amour qu’on ne partageait pas ; mais cet amour, dont vous espériez mieux, n’existait que dans votre imagination si facile, ordinairement si légère, si oublieuse…

— Mon frère, interrompit le marquis, je ne quitterai ce deuil universel qu’avec la vie. Ce sont mes armes. Je porte de deuil aux larmes d’argent.

— Mais, mon frère, répliqua à son tour le commandeur, qui s’assura avec effroi que la raison de son frère avait été atteinte par une secousse qu’il n’avait pas supposée si violente ; mais, mon frère, au lieu de vous nourrir de votre tristesse, pourquoi ne pas revenir à ces distractions bruyantes, si fort de votre âge et de votre goût ?

— Ma foi, dit le marquis en souriant, il vous vient là une excellente idée ! Je pourrais donner un bal dans mes salons dans l’état où ils sont maintenant. Mais oui ! ce serait fort original, ne trouvez-vous pas ? de voir sauter ces belles demoiselles sous ces tentures noires et ces larmes blanches. Et, au milieu de la nuit, au lieu de faire servir à souper, je ferais en-