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le dragon rouge.

sur l’échafaud, dressé au milieu de la place du marché, où étaient rassemblés tous les habitants, avides de voir les débris encore animés de cet homme si ferme, si énergique pendant son procès. »

Marine, effrayée de ce silence, ne cessait d’agiter la porte, d’appeler et de crier.

« Sur l’échafaud même, à la vue de trente mille personnes, là où le courage abandonne les plus résolus, votre père, par un effort dont lui seul était capable, s’est soulevé sur ses jambes brisées et déformées, et de ses deux mains brûlées, horrible et magnifique chose ! il a soulevé le voile noir jeté sur sa tête. Le peuple a vu alors son visage, dont la couleur n’était plus de ce monde, et une voix est sortie de sa bouche qui a crié : Ma fille me vengera ! »

Secouée avec une violence désespérée par Marine, la porte ne résistait presque plus.

« Le bourreau n’a pas osé souffleter ce sublime cadavre.

« On n’a plus entendu qu’un coup de hache.

« C’était fini. »

— Je n’ai plus de père, s’écria Casimire ! plus rien ! Faites-moi mourir, mon Dieu ! faites-moi mourir.

La porte céda à la fin.

Casimire était dans les bras du commandeur.

Elle resta longtemps ainsi à demi morte sur la poitrine de celui qu’elle n’espérait pas revoir en un pareil moment, et qu’elle ne reconnut pas en tombant dans ses bras. Elle n’avait qu’une perception confuse des paroles dites à ses oreilles : c’était un murmure dans l’ombre. Ses mains jetées avec abandon sur les épaules du commandeur, et errantes comme dans le sommeil, se détachaient sur le bleu sombre de l’habit, aussi blanches que si elles eussent été gantées pour le bal. Sur son front couvert d’ombre et de tristesse, s’étaient posées les lèvres du jeune commandeur de Courtenay, qui, on le voyait, à la consternation de ses traits, semblait embrasser les restes d’une