Page:Gozlan - Le Dragon rouge, 1859.djvu/134

Cette page a été validée par deux contributeurs.
131
le dragon rouge.

de ses amis de cour, de lui envoyer, sans s’arrêter aux obstacles du prix, un ameublement exactement pareil à celui que le régent, voulant faire une surprise à Louis XV, le jour où il sortirait de la tutelle de son gouverneur, avait commandé en secret pour les appartements de Versailles. Ce n’était pas moins qu’un million à dépenser en tapisseries, en dorures, en tableaux, en peintures, sans parler des immenses frais de transport de tous ces meubles à travers l’Allemagne. Il fit acheter aux Gobelins un tapis d’une richesse de travail incomparable, représentant les principales vues du parc de Versailles. La manufacture de porcelaines de Sèvres, vaincue par l’énorme somme d’argent qu’il offrit, consentit à lui fabriquer douze sujets mythologiques destinés à parer les encoignures de ses salons. Enfin, il n’est pas de chefs-d’œuvre de bronze ou de marbre, en vogue à Paris au moment où il se disposait à s’unir à mademoiselle de Canilly, qu’il ne parvint à se procurer. À force d’enrichir ce temple, il finit, comme cela arrive à tous les crédules, par devenir fanatique de la divinité qu’il comptait y placer.

Quand il crut que son mariage avec mademoiselle de Canilly ne tarderait pas à se conclure, il le fit circuler à la cour de Versailles et annoncer au prône de Notre-Dame, par l’archevêque de Paris lui-même, un des proches parents de son oncle maternel, gouverneur du Perche. Enfin, le marquis, dans la joie de ses espérances si près de se réaliser, écrivit ainsi à son frère le commandeur :

« Monsieur le commandeur,

« Vous n’avez plus le droit de vous croire le plus original de la famille, vous qui, sans nécessité, allez chercher la mort dans les pays étrangers, quand vous êtes à peu près sûr de l’obtenir chez vous, en vous donnant la peine d’attendre. En ma qualité d’aîné, j’ai la prétention de vous surpasser en extravagance. Ma foi ! il n’y a plus à se dédire. Vous ne devinez