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le dragon rouge.

se conduisait à la clarté de ces doctrines. Plus elle avançait en âge, et plus cette collision intérieure occupait de l’espace et prenait de la force.

Ce n’était pas avec la défiance de l’artiste que son père avait travaillé une matière tendre et précieuse, mais avec la brutalité d’un sophiste, avec le marteau et sur l’enclume. Elle était bossuée de faux enseignements. Les opinions, les sentiments, les croyances adoptaient des inégalités et des creux en étant répandus dans ce moule altéré, et plus ce qui s’y versait était ardent, et plus les difformités s’y modelaient avec ténacité. Aussi Casimire, n’eut-elle pas plus tôt écrit sa laconique lettre au commandeur de Courtenay, qu’elle se repentit de la lui avoir envoyée. Mais il n’était plus temps, cette fois, de la détruire ; elle suivrait sa destinée. Rien au monde ne pouvait plus la lui rendre. Sa lettre volait dans la valise du courrier aux frontières de la Turquie, pour ne s’arrêter que dans les mains du commandeur.

Au lieu de la réjouir, cette pensée tourmentait maintenant Casimire nuit et jour. Quelle opinion concevrait-il d’elle, en découvrant sous cette injonction formelle, impérative et brève : Revenez ! un amour désormais impossible à feindre ou à nier ? Pourquoi nier ou feindre, se reprenait-elle, quand l’abattement, qui suivait chacun de ces combats, ramenait le calme à son cœur. Elle lui avait dit ce qu’elle pensait, elle lui avait confié tout ce qu’elle éprouvait ; où était le mal ? où était la honte, le danger ? Doux miel, ces paroles s’aigrissaient à la moindre réaction de sa sombre éducation sur son charmant naturel, et d’autres raisonnements ne manquaient pas d’accourir. — Pourquoi, murmurait-elle, tout entier à elle en partant, le commandeur ne l’aurait-il pas oubliée dans des occupations plus sévères, peut-être aussi dans ces résidences où le cœur des officiers est tant exposé à la séduction de jeunes femmes étrangères ? Quel effet produirait alors la lettre, s’il en était ainsi ? un sourire de vanité, une compassion humiliante. Quand elle