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le dragon rouge.

mineur, délaissé par les assiégeants, eut à peine le temps de s’enfermer dans le trou qu’il s’était pratiqué dans le mur de la forteresse. Caché dans la terre, pressé par l’eau des fossés, entendant rouler sur sa tête les canons des Turcs, il n’en continua pas moins à miner jour et nuit, armé uniquement de sa lampe. »

Un murmure d’étonnement et d’effroi circula dans la salle.

« Au bout de deux jours, le prince Eugène, ayant repoussé les Turcs dont il avait subi l’agression, reprit les travaux du siège de Belgrade. Les eaux furent de nouveau détournées, et c’est alors qu’on vit sortir des fentes de la forteresse le mineur forcément abandonné dans son travail ; son travail était fini. L’armée admira tant de fermeté d’âme, tant de courage. Quelques heures après, le feu fut communiqué à la mine, qui, en éclatant, entraîna les gros murs de la redoute, et, par cette brèche ouverte, l’armée s’introduisit victorieuse dans la forteresse. La place était prise.

« Ce mineur, acheva le lecteur officiel, ce jeune volontaire qui, en récompense de ses grands services, n’a voulu acccpter aucun grade, prétendant qu’il avait longtemps à se signaler par de semblables actions avant d’égaler la renommée de ses aïeux, est un jeune ingénieur français : c’est M. le commandeur de Courtenay. »

Un cri d’aigle partit du fond de la loge vers laquelle toute la salle avait déjà tourné les yeux.

Une jeune femme, Casimire, pâle, superbe d’abandon, sublime d’oubli, avait poussé ce cri qui avait traversé tous les cœurs. Quand Casimire réfléchit sur cette inconvenance, il n’était plus temps, elle était commise ; mais elle seule pouvait voir du mal dans cet élan qu’on n’avait remarqué que parce qu’il était l’énergique expression de la salle entière ; car, à ce nom du commandeur de Courtenay, à ce nom si connu, si respecté de la jeunesse de Varsovie, trois frénétiques salves d’applaudissements avaient retenti.