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le dragon rouge.

vous aurez faussement pris pour une passion. Eh bien ! jamais je ne croirai que vous, si belle, mademoiselle de Canilly, si intelligente et si riche, puissiez, ayant un pied sur la première marche du trône, prendre pour mari un homme incapable de s’élever à la hauteur de votre caractère, et je dirais de votre génie, si je n’étais votre père.

« Si vous l’aimez, continuez à l’aimer, rien ne s’y oppose, mais ne l’épousez pas.

« Qui vous ferait un reproche d’agir ainsi ? Ce n’est pas moi ; quant à l’opinion du monde, n’y songez plus ; vous allez entrer dans une sphère où les choses, il en est ainsi, changent de signification et de nom. Je ne sais en ce moment si jamais Marguerite de Navarre a été mariée, mais je crois me souvenir qu’elle a beaucoup aimé.

« Je n’ai point de fils ; c’est à vous à m’en tenir lieu comme appui, comme conseil, comme ami. Jugez si j’attends beaucoup de vous, mademoiselle de Canilly.

« Toutes les ambitions vont bientôt nous être permises. Un trône touche à tous les trônes. Être roi ! oui ! c’est beau, c’est enivrant la puissance ! Être parmi les hommes un de ces rares élus dont toutes les pensées s’exécutent. Les pensées d’un roi, fantaisies de Dieu ! Creuser des bassins dans des plaines stériles et y appeler de loin avec la mer les flottes de toutes les nations, abaisser les montagnes qui gênent le soleil, peindre enfin sur la terre une civilisation nouvelle, comme le ferait un peintre sur la toile. Disposer de la vie des peuples pour faire sa propre vie grande et admirée, et si merveilleusement unique que, lorsque tout a péri, après trois mille ans d’existence, hommes, cultes, lois, on reste seul, debout, au milieu des ruines d’un empire, et posé, le sceptre à la main, sur un cheval de bronze. Ah ! oui, cela est beau, cela est digne d’envie, mademoiselle de Canilly. »

Casimire se leva sur son séant, toute frémissante d’enthousiasme, et ses deux mains errèrent sur sa tête comme pour y