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BALZAC CHEZ LUI.

sit dans une espèce de tanière éclairée par deux lumignons fumeux qui laissaient voir, assises par terre, plusieurs femmes occupées à mettre par ordre de races les chiens assommés, étranglés, écrasés, étouffés à Paris dans la nuit.

Quelles femmes ! de véritables Canidies : des touffes de poils blancs et roux s’échappaient en colère de dessous les mouchoirs flétris qui emmaillotaient leurs têtes. Leurs manches étaient retroussées jusqu’aux épaules, et avec leurs mains de sorcières dont les ongles simulaient des griffes, elles accomplissaient dans ces demi-ténèbres leur besogne, qui consistait non-seulement à classer les chiens, ainsi que je viens de le dire, mais en outre à les dépouiller de leurs colliers de cuivre. Il n’y avait pas d’autres sièges autour de nous que ces chiens empilés. Nous nous assîmes donc tous les quatre sur des piles tremblantes de chiens, et nous examinâmes le travail de ces dames. Balzac dévorait des yeux ce tableau de l’école de Teniers, et il étudiait surtout avec sa lumineuse curiosité, avec ses propriétés d’alambic, car on peut dire qu’il distillait déjà tout objet passant par ses yeux pour pénétrer à son cerveau ; il étudiait en ce moment, disons-nous, les plis, les rides, les crevasses, les ravins, les fondrières qui se faisaient sur le visage