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curare qui peu à peu endormait les muscles. L’esprit obstrué des plus contradictoires métaphores, il les essayait l’une après l’autre, indéfiniment choqué de leur absurdité. Enfin dans un ressaut de vitalité, il reconquit un peu de logique et cessa de s’avilir : je souffre, donc j’aime ! Cette pensée, bien qu’il en perçût ironiquement la douce naïveté, le réconforta, une très longue et décisive inhalaison rétablit l’hématose, il put s’endormir en paix.

De tels doutes et aussi douloureux plus d’un soir revinrent le suffoquer ; il n’en fut délivré que par la colère, la première fois qu’il frappa sans réponse. Certaines déceptions, à de certains jours, déterminaient en lui cette volte-face, quand le désir très vif avait un but précis ; c’était, en ce moment, voir Sixtine, seulement la voir, seulement le plaisir des yeux.

L’effet fut pareil au second échec, mais accentué jusqu’à une sorte de rage, crise peu dangereuse et dont le coup de fouet même était salutaire.

La dernière moquerie du sort, l’avait au contraire jeté dans un abattement résigné : Elle ne veut plus me voir, je lui ai déplu, comment ? Pourtant, je l’aime ! Ainsi déplacé du sujet à l’objet le doute était supportable comme une souffrance imposée, que l’on accepte sans en ressentir la responsabilité : Ce n’est pas ma faute.

Alors il traîna dans les rues, chez ses amis, à la « Revue spéculative », une tristesse pâle comme une végétation de cave. Le matin, à l’ombre d’une forte habitude qu’aucune commotion n’avait déracinée, il travaillait encore, mais en abrégeant les heures, im-