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tiver en un simulacre la représentation individuelle du monde.

— « Et, fit Passavant, l’homme n’est lui-même que le simulacre de l’idée.

— « Soit, reprit Chrétien, mais loin de pouvoir atteindre à la vérité absolue, comme s’en targuent ces niais, l’art n’est donc qu’un ricochet, le simulacre d’un simulacre. Ce n’est plus la volonté qui agit directement, mais seulement une volonté déjà fixée dans l’individu, soumise à l’intelligence, affaiblie par le dédoublement, en somme limitée à des velléités.

— « Ces sortes d’écrivains, remarqua Entragues, sont, ainsi avec la plupart des hommes, que l’humanité entière, ou à peu près, victimes d’une illusion d’optique. Ils s’imaginent que le monde extérieur s’agite en dehors d’eux, c’est une transcendante sottise, mais dont ne s’engendre pas nécessairement leur esthétique spéciale. Le monde, c’est l’idée que j’en ai, et cette idée, les spéciales modulations de mon cerveau la déterminent : ils ont de laides cervelles, voilà tout. On pourrait ordonner d’amusantes esquisses ainsi conçues : le monde vu par un crabe, le monde vu par un porc, le monde vu par un helminthe. On se raconte soi-même, on ne peut même raconter que cela : l’œuvre d’un artiste, c’est la lente et quotidienne réaction de l’intelligence et de la volonté sur tel amas de cellules individuelles.

— « Il faudrait donc, dit Renaudeau, les accepter tels qu’ils sont ! Eh bien, non. On peut se recréer, soi-même, nettoyer sa sale nature, la mener au bain