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hommes à redire toujours la même chose. Tout ce qui avait été rédigé depuis l’Écriture se pouvait résumer en trois mots ; flambés en un fantastique creuset, la totalité des livres donnerait pour résidu chimique : COGITO, ERGO SUM : Descartes était le seul homme qui eût jamais écrit une parole nécessaire et treize lettres y suffisaient. Il aurait voulu les voir gravées au front des monuments.

Hors de ces trois mots, rien n’existait, sans doute, que l’art parce que lui seul, doué de la faculté créatrice, a le pouvoir d’évoquer la vie. Lui seul, sans pourtant refaire ni la trame ni la chaîne, peut varier la broderie de l’étoffe, parce qu’il brode à l’abri des contingences. L’existence de Marie-Antoinette est problématique ; celle d’Antigone est certaine. La reine morte sur l’échafaud est à la merci des déductions et des négations ; Antigone est éternelle, comme le familial Amour qu’elle symbolise et l’écroulement des étoiles n’étoufferait pas l’aveu pitoyable et charmant de son cœur de femme qui murmure à travers les siècles : Je suis née pour aimer et non pas pour haïr ! Le symbole est impérissable comme l’idée dont il est la forme transcendante et qui lui devient nécessaire dès qu’il l’a revêtue. Quand on persécute Galilée, c’est un homme qui souffre, quand on sépare Roméo et Juliette, c’est l’espèce entière qui ressent leur déchirement.

Ayant mis l’art au-dessus et même à la place de la vie, Entragues doutait encore. L’art n’était-il pas, lui aussi, une illusion ? Si le monde extérieur n’est que fantômes que peut-il recréer, sinon des fantô-