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ses oreilles et bornant l’horizon comme un mur, l’Idée noire se dressa devant lui. Une misère infinie l’accablait et loin d’en vouloir secouer le fardeau, il y ployait les épaules, se laissant écraser jusqu’au suicide. La souffrance lui ferma les yeux, il tremblait de froid, de fièvre et d’horreur, et un reste de raison pourtant, au fond de lui-même l’avertissait de l’absurdité d’une telle douleur soudaine et sans cause. N’importe, il y persistait, couché maintenant sous l’avalanche d’ombre, immobile, subissant le garrot de la mort solitaire, l’écorchement lent de l’agonie morale. Cela dura une heure pendant laquelle il pâtit des semaines de réelles et profondes peines, des peines les plus cruelles qu’ait inventées la tortionnaire imagination humaine, des peines sans espoir, des peines infernales. Il se réveilla tout endolori, et chancelant poursuivit son chemin.

La distraction du bouquinage lui fut d’un grand secours. Les momies, rangées par douzaines dans leurs cercueils, attendaient d’une fantaisie la résurrection momentanée. Il en sauva quelques-unes, les Promenades, de Stendhal, qu’il ne possédait pas, un vieux bréviaire historié d’armoiries et un lexique vénitien. Le Stendhal, il regretta de l’avoir acquis. C’était encore un sujet de tristesse qu’il emportait et dans l’état maladif où l’avait laissé sa crise, le seul matériel contact de ces petites notules sans art, mais amères, pouvait être dangereux. Amères ! Pour lui seul, peut-être, car il y trouvait de telles désolations : « Cette Rome des Papes, cette matrice de l’idéal, cette Ninive de la pourpre, cette Babylone de