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III.— NOTES DE VOYAGE


RAI-AUBE


« Et quand tu seras ainsi formé :

quand tu seras pénétré de cette vérité : « Il n’y a de vrai, de vraiment existant pour toi que ce qui rend ton esprit fécond », alors observe le cours général du monde, et, le laissant suivre sa route, associe-toi à la minorité. »

GŒTHE, Poésies : Testament, VI.


Dreux. — Voir passer les train, — voir passer la vie, — ne jamais monter dedans que pour battre les coussins.

Un peu plus loin. — Les trains ont un but ; la vie n’en a pas. Mais c’est précisément l’originalité de la vie de n’en pas avoir, de but. Parfois je lui trouve, ainsi qu’à une vieille dentelle, le charme même de l’inutilité.

Un peu plus loin.— Jusqu’à Dreux, j’ai considéré le paysage : l’inconscience végétale est, décidément, un néant trop attristant. Il faut, pour s’y intéresser, la faire vivre en s’incorporant soi-même aux arbres, aux herbes : mettre dans un corps de chêne son âme sensible d’homme : je suis chêne, je suis houx, je suis coquelicot, mais je le sais et le chêne l’ignore, et le houx et le coquelicot : à cause de cela ils n’existent pas. Les panthéistes sont de bien braves gens.