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— Vous parlez de Molière ? demanda Calixte, en entrant, c’est un misérable : il a raillé le rêve.

— Cependant, réclama Van Baël, et Alceste, et Don Juan ?

— Mais, reprit Renaudeau, s’il n’avait rien fait du tout, il serait comme Voltaire, en dehors de la critique.

— N’étaient ses ridicules paysans, Don Juan aurait du charme, dit Calixte. Mais voyez comme tout se rapetisse dans le cerveau de ce bourgeois : si Don Juan n’est pas un délicat, s’il ne choisit pas dans le vaste champ d’épis les plus beaux, les plus hauts et les plus dorés, s’il fait gerbe de tout, ce n’est plus Don Juan, c’est un coureur de jupes.

— Mais précisément, dit Entragues, s’il les aime toutes, c’est qu’il les idéalise toutes.

— Je ne crois pas, dit Calixte : Molière n’a donné des paysannes en pâture à Don Juan que pour mettre dans sa pièce la note comique : il fallait faire rire, et la première imagination venue a été la bonne. Et Alceste ? cet homme qui déteste les hommes et qui préfère la solitude à quelques concessions demandées par la vanité d’une jolie femme, cet homme trouve-t-il, au cours de cinq actes, un mot, un seul mot, qui peigne l’état d’âme d’un haïsseur d’hommes. Il n’est qu’un grincheux. Il met au-dessus de tout la joie d’être lui-même en liberté, loin du monde, et il ne sait pas le dire : il n’a pas d’âme ! Thisbé, si moquée, la Thisbé de Théophile, avec quelle grâce délicieuse elle raconte à Bersiane sa peur du bruit, de la vie extérieure, du mouvement des choses.

THISBÉ

Sais-tu