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son amant, dans les vingt-quatre heures. » Je ne puis pas jouer le rôle d’un pendant à M. Moscowitch, je ne puis pas admettre un tel hasard dans ma vie, lui ou moi. Comment ! ces bras chers qu’en rêve j’ai noués autour de mon cou, caresseraient la barbe autrichienne de ce dramaturge ? Je ne veux même pas préciser ma jalousie : Moscowitch n’est rien en lui-même qu’un autre. Ainsi un autre aurait ces lèvres et ces yeux, et ces cheveux et tout. Vulgaires plaintes d’un vulgaire jaloux : à quels détails est-ce que j’applique mon imagination ? Voilà que m’obsède l’image obscène. Il faut donc toujours en venir là et c’est pour cela que je l’aime, pour cela seul, pour monter sur elle. Bravo ! les mots sont utiles : avec des mots on analyse tout, on détruit tout, on salit tout. Ça, je n’en veux plus, puisque c’est ça. Valentine fait convenablement la bête, que me faut-il de plus ? Elle est rusée comme une succube et charmante aux jeux préambulaires, que me faut-il de plus ? Ses caresses sont d’une générosité profuse : elle a le cœur sur la main et sur les lèvres, que me faut-il de plus ? Du moment que la conclusion physique s’évoque, immédiat but, n’est-il pas bien indifférent que ce soit telle ou telle fornicatrice qui prête ses indispensables organes ? Qu’importe le terrain où sera jetée la stérile semaison, et que m’importe encore, femme nécessaire à mon plaisir, que les mouvements de tes reins soient d’une passionnée, ou d’une simulatrice d’amour ? »

Il se promenait, vagant malgré le froid, dans les allées nues et boueuses du Luxembourg, parmi les grelottantes statues et les arbres muets.