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mentir, la vengeance, la perversité qui la jette en vos bras. Pour se sentir aimé, il faut croire ; l’amour est une religion. Il faut avoir la foi, il faut aimer soi-même. Aimer soi-même ? Oui, pour être plus facilement trompé, c’est le moyen. Se dévêtir d’abord du raisonnement, puis plonger vers la vérité ! Absurde. Alors, croire ? Oui, croire, et la vérité elle-même, est-elle autre chose que la croyance ? Vérité, croyance, double face de l’unité, mystère d’un Dieu en deux personnes. Ah ! si je croyais être aimé de Sixtine, elle m’aimerait, j’aurais le repos, la joie de l’union, je le puis. Comment ? Il n’y a peut-être qu’à ne pas réfléchir. S’embarquer sur la barque légère et au fil de l’eau descendre… Vers l’océan, n’est-ce pas, vers l’inéluctable abîme ? Évidemment, mais ce détail est insignifiant. Le tout est de s’embarquer et de ne point passer sa vie à regarder les autres partir pour le délicieux inconnu. Mais on en revient ! Alors à quoi bon ? Si le courant est un circuit, autant demeurer chez soi à lire la Divine Comédie. Lui aussi en est revenu, l’Alighieri ! Il n’y a que la mort. Mais on n’en revient pas, et se dresse un autre à quoi bon : mais celui-ci a sa réponse toute prête qu’il nous glisse à l’oreille quand il lui plaît. Amère la vie, plus amère la mort. »

Une église se dressa près de lui. Il reconnut l’humble Saint-Médard, entra et s’agenouilla :

« Ô Dieu de la Croix, Christus patiens, Christ éternellement souffrant, écoute-moi ! je cherche la joie, je cherche l’amour, je cherche la douleur, et je ne trouve que le néant. Je ne sais ni jouir, ni aimer,