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« Tire la targette de la porte ! » Mais l’amour n’est jamais ridicule et je ne vois pas qu’il y ait la moindre place pour la gaudriole dans le sombre et émouvant tableau qu’Abélard a tracé de ces premiers moments d’effusion « Que vous dirai-je ? nous fûmes d’abord réunis par le même toit, puis par le cœur. Sous prétexte d’étudier, nous nous donnions tout entiers à l’amour ; ces mystérieux entretiens désirés par l’amour, les leçons nous en ménageaient l’occasion. Les livres étaient ouverts, mais il se mêlait dans les leçons plus de paroles d’amour que de philosophie, plus de baisers que d’explications ; mes mains revenaient plus souvent à son sein qu’à nos livres ; l’amour se réfléchissait dans nos yeux plus souvent que ne les attirait la lecture… » Et un jour ils ne lurent pas plus avant. On dirait que Dante a connu ce passage et qu’il en gardait le souvenir en écrivant l’épisode de Françoise de Rimini. C’est possible, car l’histoire d’Abélard et la confession qu’il rédigea de ses amours et de ses malheurs passionna bien longtemps les monastères et les écoles, et la noble figure d’Héloïse enflammait les imaginations.

Ce n’est guère que depuis quelques années, après les travaux de Rémusat et de Gréard, qu’on a pu se faire une idée juste du caractère d’Héloïse, type même de l’amante passionnée, fidèle jusqu’à la mort, résignée à taire son amour, si son amant