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qui fléchit un peu chaque jour) essaie d’accumuler autour de nous. Il faut se rendre au plus pressé, qui est de secourir cette civilisation qu’on a eu un instant la vision de voir tomber sous les lourdes bottes qui la piétinaient. Quand elle sera debout, bien étayée, nous chanterons encore, nous danserons encore : l’heure n’est pas venue. Les écrivains de ma génération ont eu ce privilège, dont ils ont peut-être un peu abusé, de pouvoir évoluer librement et d’aller jusqu’au bout de leurs idées et de leurs préférences. Il est à craindre, car cet état était certainement agréable, que les générations qui nous suivent ne retrouvent plus la même liberté d’allures. Aussi loin que je puisse voir dans le prochain avenir, il m’apparaît, barré par de terribles préoccupations de défense, non moins que par un souvenir qui longtemps pèsera sur les volontés. Ce sera un autre monde, j’en ai conscience. Pourtant j’espère aussi que les cauchemars seront vaincus et qu’on saura trouver une méthode où se conciliera le devoir de défendre la vie et le devoir de la vivre.