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L’amante ne veut plus se souvenir du passé, dont le poison brûle ses veines. Le passé ! il n’est peut-être pas de douleur comparable à celle-là : survivre à un immense amour, et sentir peu à peu mourir en soi tout ce qui constituait notre joie d’exister. Mais, intenses, ces douleurs sont fugitives, et, pour les âmes bien faites, il y a des renaissances et des recommencements. Quand on a de l’amour en soi, on trouve toujours un être sur qui le répandre.

Ce qui constitue la tristesse sentimentale, c’est l’obstination à ne vouloir pas oublier, c’est-à-dire à vouloir immobiliser sa vie :

Le passé vit en moi ce soir, ce trop chaud soir
Où je songe accoudée au-dessus de la ville,
Mon cœur las n’ayant plus la force de vouloir.
De désirer, d’aller vers les champs plus tranquilles.

Mais mon rêve est empli d’air, d’ombre, de soleil.
Ah ! comme le regret et le désir se pâment