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milieu d’une large campagne pourvue de tout ce qu’il faut pour faire des vers : herbes, fleurs, fleuves, ruisselets, bois, cavernes et des femmes jeunes et si fraîches qu’on dirait les pensées nouvellement écloses d’un cerveau ingénu.

La large campagne est toute pleine de poètes, qui s’en vont, non plus par troupes, comme au temps de Ronsard, mais seuls et l’air un peu farouche ; ils se saluent de loin par des gestes brefs. Tous n’ont pas de nom et plusieurs n’en auront jamais : comment les appellerons-nous ? Laissons qu’ils jouent, pendant que celui-ci nous accueillera et nous dira un peu de son rêve.

C’est Adolphe Retté.

On le reconnaît entre tous à son allure dévergondée et presque sauvage ; il brise les fleurs, s’il ne les cueille, et avec les roseaux il fait des radeaux qu’il jette au courant, vers le hasard, vers demain ; mais quand passent les jeunes femmes, il sourit et il s’alanguit. Une belle dame passa… et il dit :


Dame des lys amoureux et pâmés,
Dame des lys languissants et fanés,
Triste aux yeux de belladone —