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repliée et peureuse. Cette réflexion (p. 142) résume assez bien l’état d’esprit d’André Walter : « Ô l’émotion quand on est tout près du bonheur, qu’on n’a plus qu’à toucher — et qu’on passe. »

Il y a un certain plaisir à ne pas s’être trompé au premier jugement porté sur le premier livre d’un inconnu ; maintenant que M. Gide est devenu, après maintes œuvres spirituelles, l’un des plus lumineux lévites de l’église, avec autour du front et dans les yeux toutes visibles les flammes de l’intelligence et de la grâce, les temps sont proches où d’audacieux révélateurs inventeront son génie, sonner, pour qu’il sorte et s’avance, la trompette de la première colonne. Il mérite la gloire, si aucun la mérita (la gloire est toujours injuste), puisqu’à l’originalité du talent le maître des esprits a voulu qu’en cet être singulier se joignît l’originalité de l’âme. C’est un don assez rare pour qu’on en parle.

Le talent d’un écrivain n’est souvent que la faculté terrible de redire en phrases qui semblent belles les éternelles clameurs de la médiocre humanité ; des génies même, et gigantesques, comme Victor Hugo ou Adam de Saint-Victor