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duché de Bade était français. Vous voyez donc, Madame, que bien des points nous rapprochent.

— Comte, vous êtes un noble cœur !

— J’aime votre petite-fille, marquise, j’ai admiré ses vertus simples, sa gaieté. Je l’ai vue prier. Avec une femme de cette nature, rien n’est à craindre. Un nom sans tache est sûrement placé.

— Seulement, Michelle est une enfant.

— Elle a seize ans. J’en ai, il est vrai quarante ; mais la vie que j’ai menée au camp et à l’armée m’a laissé peu le loisir de goûter les joies du foyer jusqu’à ce jour. En conséquence, j’apporterai à ma femme une grande jeunesse de cœur, une absolue sincérité d’intention…

— Michelle est habituée à vivre avec des vieillards et votre âge n’est pas un obstacle à coup sûr. Vous êtes au milieu de la vie, nous sommes, nous, au déclin, et quand je partirai de ce monde — avec grand regret, hélas ! car je suis l’étai de ces pauvres ruines — je laisserai mes enfants sans ressources ; ma fille est incapable à cause de son triste état de santé, ma petite-fille est courageuse, mais inexpérimentée. Votre offre — pourquoi le cacher — est inespérée : elle sauve mon enfant. Les de Caragny valent les Hartfeld, et je vous jure qu’à votre place mon désintéressement serait égal au vôtre. De plus, la manière dont vous me demandez mon enfant, en me parlant de ses qualités morales et non de sa radieuse beauté, me donne en vous une absolue confiance. Laissez-moi consulter Michelle, je vous répondrai demain. À présent, quittez-moi, j’ai besoin de me recueillir devant Dieu. »

Le comte mit un baiser sur la main de la marquise et sortit lentement à regret, sans avoir eu la joie de voir Michelle.