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avait pris à part le gamin intelligent pour causer avec lui :

« Veux-tu aller au collège avec ton camarade ? dit-elle.

— Je voudrais bien, mais nous sommes trop pauvres, je ne veux pas demander à maman, qui tape ses fers, tant que le jour dure, sur le linge des clients, de me payer l’instruction, elle a déjà assez de peine à gagner notre pain.

— Et si ta pension ne coûtait rien à ta mère ?

— Je serais bien content, parce que j’aime à étudier ; mais je sais que cela ne se peut pas.

— Cela se peut, tu suivras les classes d’Henri. »

François ne comprit que plus tard l’extrême bonté de la comtesse, et quand il se vit le premier de son cours, obtenant à seize ans son baccalauréat, admis plus tard à l’École centrale avec compliments, il reporta tout l’honneur de ses succès à sa bienfaitrice et accourut vers elle, tout ému, le cœur débordant.

« Je dois la vie à ma mère et à vous l’avenir ; vous m’avez armé pour combattre, je serai digne de vous. Toutes mes couronnes, je les mets à vos pieds, avec mon dévouement pour vous et votre fils. Je ne puis rien vous payer qu’en affection.

— Tu me récompenses au delà de mes mérites, mon enfant. »

Depuis lors, les deux jeunes gens ne s’étaient pas quittés et pas une heure le courage et la reconnaissance de François n’avaient failli.

Le déjeuner s’acheva gaiement puis les deux conscrits sortirent pour aller au Bois, déposant en passant la bonne Mme Pierre rue Demours où l’instant d’après, en camisole et tablier blanc, elle glissait ses fers sur la toile roidie.