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le couvert de l’école, on n’enseignait pas la trahison ? Pourquoi, dans cette classe, ne parlait-on que français ? Pourquoi ses fils eux-mêmes avaient-ils toujours aux lèvres la langue de leur mère ? Vraiment, il fallait une réaction. Edvig, cette fois, n’avait pas tort.

Et il se replongea dans ses travaux.

Seulement, il ne parvenait plus à garder assez de lucidité pour classer ses rapports stratégiques. Dans sa pauvre cervelle souffrante, il y avait des battements fous.

Alors il se leva, repoussa brusquement sa table à écrire et passa dans l’appartement de sa femme.

Michelle, assise sur une chaise basse, avait devant elle ses trois enfants. Installés sur le tapis, les deux garçons, les coudes appuyés sur les genoux de leur mère, le visage levé vers elle, semblaient boire ses paroles. Frida, qui n’écoutait pas, alignait ses petites poupées.

Michelle disait : « Comme le roi approchait de la côte bretonne, monté sur sa galère toute cuirassée d’or, le guerrier montant la garde en haut de la Roche-aux-Mouettes, souffla dans la corne que lui avait donnée la sirène de la Goule-aux-Fées et tout le peuple s’assembla sur la rive où il chantait en langue celtique… »

L’entrée du père interrompit le récit. Michelle sourit à son mari, tandis qu’Heinrich courait saisir la main de son père.

« Viens, père, écoute, c’est si joli l’histoire de l’enchanteur Merlin ! »

Mais Hans, qui arrivait considérablement agacé, répondit durement :

« Je t’ai déjà dit que je ne te répondrais pas quand tu me parlerais français, et vous, Michelle, qui entretenez sans cesse ces enfants de légendes bretonnes, ne songez guère à développer chez eux l’esprit national, l’amour de la patrie.