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« Ceci vite à son adresse, à deux pas. »

Minihic regarda sa maîtresse en prenant la lettre.

« Madame a de la peine ?

— Oh ! oui.

— Mais nous aurons bientôt rejoint M. le comte. »

Michelle ouvrit les lèvres pour répondre, expliquer sa torture ; mais elle se contint. À quoi bon troubler cet enfant de dix-huit ans qui la servait fidèlement ?

« Va, ordonna-t-elle, et rentre vite, j’ai besoin de toi. »

Le groom courait, et si vite qu’il alla, au retour, il était encore précédé par Georges Rozel.

Le jeune homme était envoyé par son oncle, que retenait son ministère. Il pénétra dans l’hôtel en désordre ; il vit l’emballage hâtif, parcourut le rez-de-chaussée, et, ne trouvant que des ouvriers incapables de le renseigner, il monta au premier.

« Michelle, dans la grande cheminée du salon, brûlait des lettres ; elle se retourna, vit le jeune homme sur le seuil, et, s’élançant vers lui, sans songer aux recommandations de son mari, dans un cri de douleur :

« Ah ! mon pauvre ami, nous avons la guerre ! »

Il tressaillit, chancela presque sous l’empire d’un incroyable effroi, d’une vision horrible. Cette femme qu’il vénérait, l’amie de son oncle, qu’était-elle donc ?

Il promena autour de lui un regard atterré, vit les flammes faire leur œuvre de destruction, les ballots préparés avec leur adresse en langue étrangère, les armes du colonel, son casque surmonté de l’aigle aux ailes éployées, ses deux enfants qui jouaient au soldat, comptant :

« Ein, zwei, drei[1]. »

  1. Un, deux, trois.