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lui avait amenés d’Allemagne, jouaient à quelques pas, sous la garde de leurs bonnes. Dans l’avenue, montaient des voitures étincelantes, des cavaliers, de beaux uniformes ; les Tuileries au bout, vers Paris, envoyaient leur reflet sur toutes choses ; le luxe, le plaisir soufflait de là-bas : c’était le centre rayonnant d’où partaient toutes les lumières. Paris était merveilleux ce printemps de 1870 ! Les commerçants faisaient des affaires d’or, les laboureurs vendaient leurs produits à un taux qu’ils n’avaient jamais espéré et qu’ils n’ont pas pu revoir depuis. Le sol français, les rentes françaises avaient une valeur insolente en face des autres puissances, et l’homme triste et malade, qui était le pivot de ces richesses, souffrait sans le dire, des visions noires d’effondrement qui hantaient son peu de sommeil. Seul dans son palais, il entrevoyait au milieu de cette flambante apothéose, l’écroulement final. Il avait des mots sinistres au milieu des fêtes. Sa femme l’appelait le « taciturne », le « papillon noir », et les rires éclataient partout en fanfares triomphantes, telles les flammes d’un volcan cachent le cratère qui se creuse.

Soudain, Michelle vit une ombre se dresser devant elle. Le songe où elle était plongée fut troublé par un bruit de mots prononcés pour elle, et l’impression qu’elle ressentit fut presque pénible.

Qui n’a éprouvé cette impression, même physiquement, douloureuse, d’une interpellation lorsqu’on est absorbé au fond de soi ? et les réflexions de Michelle étaient bien graves, depuis son séjour à Paris. En grand deuil, elle n’avait voulu profiter d’aucune distraction, ne sortir qu’absolument pour les obligations de famille, voir sa mère, sa cou-