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nous a perſuadé que des perſonnes de bien me donneroient de quoi acquitter votre créance : il me fait monter dans une voiture dont il a ſoin de fermer les portieres, dans la crainte, diſoit-il, que le trouble & l’affliction où j’étois réduite n’attiraſſent ſur moi les regards des paſſans ; enfin nous arrivons. Il me conduit dans un appartement richement meublé ; il me fait aſſeoir & me laiſſe ſeule quelques minutes. Je crois qu’il va pour m’annoncer à ces perſonnes de bien : mais je le vois revenir tout ſeul. Il s’aſſied auprès de moi & me dit : » Vous n’avez rien au monde, Marianne, qu’un état mercenaire qui ſuffit à peine à votre ſubſiſtance ; votre pere eſt dans les fers, une horrible miſere aſſiége votre famille ; vous ſeule pouvez les ſauver de cet état malheureux. Moi, Monſieur, lui dis-je ; & par quels moyens ? Les voici, continua-t-il : je vous aime, Marianne, depuis longtems ; je ne ſuis pas aſſez riche pour vous faire un ſort digne de votre mérite ; mais j’ai ſçu rendre amoureux de vous un jeune homme, qui ne chercher qu’à prodiguer ſes tréſors en faveur du premier objet qui flattera ſes deſirs, il m’en a laiſſé le maître : vous n’avez qu’à dire : J’accepte vos bienfaits. Une maiſon, un caroſſe, des valets & des plaiſirs de toute eſpece, tout ſera à votre diſpoſition ; mais je dois être récompenſé de la fortune que je mets à vos pieds. » J’écoutois ce diſcours comme un langage étranger, & ne pouvois y répondre, tant ma ſurpriſe étoit grande. Il alloit continuer, quand j’ai rompu le ſilence. « Quoi lui ai-je dit, Monſieur, c’eſt par d’auſſi vils moyens que vous prétendriez délivrer mon pere ! Pourriez-vous croire que quand je ſerois aſſez vile moi-même, pour les accepter, mon pere le ſouffriroit ? Non, Monſieur ;