Je les attends comme Bayard, sans peur et sans reproche. Il est peu d’hommes qui puissent dire comme moi ; j’ai vu souvent la fortune, les dignités à mes pieds je les ai foulées et je ne me suis jamais démentie. On dit que l’homme change, je soutiens le contraire, tous ceux qui varient n’ont ni caractère ni vertu, se connoissant faibles et vicieux, ils ont seulement eu l’art de tromper le vulgaire, et sous un masque spécieux, cachant artistement leurs vices, ils ont préparé de loin ce poison subtil, de flatter, de ramper, de caresser suivant les circonstances, les mœurs, les préjugés et l’opinion. Ah ! Si on lisoit dans les consciences, combien verroit-on de réputations mal acquises, combien verroit-on de vertus persécutées ! foibles humains ! Aveugle engouement populaire, quelque soit votre délire et vos faveurs, nul ne peut échapper à son instinct ; pour juger un homme, attendez qu’il soit au tombeau. Cette récompense, quoiqu’inhumaine, tient à une cause divine que vous ne pouvez pénétrer ; pour prononcer avec certitude sur le compte d’un homme, il faut l’avoir parcouru dans toutes les circonstances de sa vie, vous y verrez développer dans sa vieillesse, les dispositions qu’il eût dans son enfance, et pour vous donner une connois-
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