Page:Gossuin - L’Image du monde, édition Prior, 1913.djvu/187

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 179 —

sens et leur memoire, si qu’il ne se puent [F° 112 a] a droit mener ne ordener de leur afaires pour vivre, si comme il deüssent, et dont il fussent plus a aise, et vequissent[1][* 1] assez plus longuement, et a la voulenté[2] de Dieu, et en fussent plus sains. Mais il aimment tant le gaaing de l’avoir de cest monde, que ce qui mieux[3] leur doit et valoir et aidier. Je ne sai pour quoi[4] il conquierent cel avoir ; car l’aise du monde meïsmes en perdent il. Car quant il se cuident aaisier et [F° 112 b] estre a sejour[5] et en pais, lors se muerent il a grant doleur[6]. Car la covoitise[7] de l’avoir, et la painne qu’il ont touz jourz mise au[8] conquerre sanz ordenance et sanz mesure qu’il en aient faite, les ont plus tost menez a mort ; et si en sont maint mort que, s’il[9] eüssent leur afaire ordené, si comme il deüssent, chascun jour[10] a droite heure, qui enquores fussent en vie et en bonne santé. Et ainsi se hastent de leur mort ; car nature ne puet souffrir[11] divers [F° 112 c] maintenirs longuement, ne les soudainnes remuances que il font par leur folies ; ne ne plaisent a Dieu de riens. Car nus biens n’en puet venir. Et plus aimment a faire leur[12] gaaing de l’avoir qu’il ne font chose qui a Dieu plaise. Ne ja ne feront riens par ordre. Un jour vont[13] matin au moustier, et l’autre tart, ou a tele heure qu’il cuident que[14] trop aient demouré[15] a faire leur autre besoingne[16] dont il cuident faire leur gaaing. Ainsi n’iront il ja Di-[F° 112 d]eu proier, devant adont[17] qu’il ne cuident riens gaaingnier[18] de l’avoir de cest monde. Et mains gaaingnent[19] il lors. Car il servent Dieu en vain. Et Diex tel loier leur rendra[20]. Car il leur vendra[21] moult chier de ce qu’il[22] le laissent a servir[* 2]. Car plus leur puet[23] merir en un seul jour qu’il ne porroient gaaingnier[24] en mil anz.

Cele[25] gent sont de fol escient qui de noient cuident servir celui qui tout set et tout voit, et qui connoist leur pensées. [F° 113 a] Enquores quant il vont au[26] moustier, n’i vont il pas pour prier[27] Dieu tant jomme il font pour avoir le los du monde ; et prient[28] plus pour le[29] leur avoir que Diex leur gart et monteploie, qu’il ne font pour l’ame qui en est perie.

Si est merveilles de tels[30] manieres de genz qui bien pensent en leur[31] cuers et sevent que ce est[32] maus[33] qu’il font ; ne ja pour[34] ce ne s’en fain-

  1. — B : vesquissent.
  2. — B : volenté.
  3. — B : miex.
  4. — B : quoy.
  5. — B : sejor.
  6. — B : douleur.
  7. — B : couvoitise.
  8. — B : a.
  9. — A ; « s’ » manque.
  10. — B : « jour » manque.
  11. — B : soffrir.
  12. — B : le.
  13. — A : vout.
  14. — B : cuident qu’il aient que.
  15. — B : demoré.
  16. — B : autres besoignes.
  17. — B : adonc.
  18. — B : gaaignier.
  19. — B : gaaignent.
  20. — A : vendra.
  21. — B : rendra.
  22. — B : ce que il.
  23. — B : peüst.
  24. — B : gaaignier.
  25. — A : Cel.
  26. — B : « au » manque.
  27. — B : por proier.
  28. — B : proient.
  29. — B : « le » manque.
  30. — B : teles.
  31. — B : lor.
  32. — B : c’est.
  33. — B : mal.
  34. — B : por.
  1. * « vequissent » : La forme « vequisse » se présente dans Garin le Loherain (Paulin Paris [Paris, 1835], II. 240). Stimming (o. c. p. 225, 226) donne de nombreux exemples de la chute de l’s, qui, surtout devant une consonne, se produit aussi bien en wallon et lorrain qu’en angln. Les exemples sont nombreux dans le m. A : san f° 77 B, connoitre f° 15 A, moutre f° 49 B, etc.
  2. * « Car... servir » : Car Il le leur fera payer cher, s’ils cessent de Le servir.