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OBLOMOFF.

après tout le monde et ne permet à personne de bouger, mais qui en même temps est toujours prêt à happer le morceau de bœuf, d’où qu’il vienne.

Tels étaient les deux familiers d’Oblomoff. Pourquoi venaient-ils chez lui, ces deux prolétaires ? Pourquoi ? Ils le savaient très-bien : pour boire, manger et fumer de bons cigares. Ils y trouvaient un abri chaud et commode, et toujours la même réception, sinon cordiale, du moins indifférente.

Mais pourquoi Oblomoff les recevait-il ? Il ne pouvait trop s’en rendre compte. Il paraît pourtant que c’était pour la même cause qui, jusqu’à nos jours, au fond de la province, au foyer de nos Oblomofki éloignées, dans chaque maison opulente, rassemble une ruche de gens des deux sexes et de même acabit, sans pain, sans profession, sans bras pour produire, bien qu’ils aient un estomac pour consommer, — mais pourvus presque toujours d’un grade et d’un état. On trouve encore des sybarites qui ont besoin d’un pareil complément dans la vie : ils s’ennuieraient sans ce meuble inutile.

Qui serait là pour chercher une tabatière égarée, ou pour ramasser un mouchoir tombé à terre ? À qui pourrait-on se plaindre d’une migraine, en exigeant que le confident s’y intéresse, ou bien raconter un mauvais rêve et en demander l’explication ? Qui ferait la lecture à monsieur, quand il est couché,