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OBLOMOFF.

Peut-être aurait-il su du moins raconter ce qu’il avait vu ou entendu, et intéresser ainsi son auditoire, mais il n’était allé nulle part : né à Pétersbourg, il n’en était jamais sorti ; il n’avait donc vu et entendu que ce que chacun savait.

Pouvait-on se prendre de sympathie pour un être pareil ? Était-il lui-même capable d’amour, de haine, de passion ? Il semblait qu’il dut aimer, haïr et souffrir, car personne n’échappe à cette loi. Mais il savait s’arranger de manière à aimer tout le monde.

Il y a de telles gens chez qui, quoi qu’on fasse, on ne parvient à exciter aucun sentiment d’inimitié, de vengeance, etc. Vous aurez beau les rebuter ; ils vous caresseront toujours. Du reste rendons leur cette justice que leur amour, s’il était divisé en degrés, n’arriverait jamais à la température de la chaleur.

On dit de ces gens là qu’ils aiment tout le monde, et par conséquent qu’ils sont bons ; en réalité ils n’aiment personne et ne sont bons que faute d’être méchants. Si, en présence d’un pareil homme, on fait l’aumône à un mendiant, il jettera aussi son kopek ; mais qu’on insulte le mendiant, qu’on le chasse, ou qu’on se moque de lui, il le poursuivra comme les autres de ses plaisanteries et de ses outrages.

On ne peut le dire riche : il ne l’est point, il est plutôt pauvre ; mais on ne peut non plus le dire absolument pauvre, car après tout il y en a beaucoup de