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OBLOMOFF.

bavarder ; on pourrait avoir besoin de quelque chose là-bas.

— Reste encore. J’ai justement un conseil à te demander. Il m’arrive deux malheurs…

— Non, non, je repasserai un de ces jours.

Et il sortit.

« Est-il enfoncé, ce cher ami, enfoncé jusqu’aux oreilles ! » pensait Oblomoff en le reconduisant des yeux. « Il est aveugle, sourd et muet pour le reste du monde. Et pourtant il arrivera, avec le temps ; il fera marcher les affaires et il avancera en grade… chez nous cela s’appelle aussi faire sa carrière. Et combien il faut peu de l’homme pour cela, de son intelligence, de sa volonté, de ses sentiments ! À quoi bon ? C’est du luxe. C’est ainsi qu’il passe sa vie, et la plus noble partie de lui-même n’aura pas vécu… Et cependant il travaille à son bureau de midi à cinq heures, et chez lui de huit heures à midi, le malheureux ! »

Il éprouvait une douce joie de ce qu’il pouvait, de neuf heures à trois et de trois à huit, rester chez lui sur un canapé, et il était fier de n’avoir pas à aller, dans un bureau, rédiger des offices, des papiers et d’avoir de la marge pour ses sentiments, pour son imagination…

Élie, en train de philosopher, ne s’aperçut pas qu’auprès de son lit se tenait un monsieur noiraud,