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OBLOMOFF.

Zakhare n’y put tenir ; les mots : qui te comble de bienfaits, l’achevèrent ! Il se mit à clignoter de plus en plus. Moins il comprenait le discours pathétique d’Élie, plus il se sentait écrasé.

— Pardon, monsieur, commença-t-il à siffler d’un air repentant : c’est par bêtise, en vérité, que je… par bêtise…

Et Zakhare, n’ayant pas conscience de ce qu’il avait fait, ne savait par quel verbe terminer sa phrase.

— Et moi, continua Oblomoff, du ton d’un homme offensé et surtout méconnu dans sa dignité, je travaille jour et nuit, je me fatigue ! Quelquefois la tête me brûle, mon cœur se pâme… on ne dort pas ses nuits pleines, on se retourne, on pense toujours aux moyens de faire le mieux possible… et tout cela pour qui ? Tout cela pour vous autres, pour les paysans ; pour toi donc aussi. Quand parfois tu me vois la tête plongée sous la couverture, tu crois peut-être que je suis étendu là comme une souche, que je dors ? Non, je ne dors point ; je suis toujours absorbé dans un souci profond : c’est que mes paysans ne manquent jamais de nécessaire, qu’ils n’aient rien à envier aux autres, qu’ils n’aient point à pleurer contre moi devant le Seigneur Dieu au jugement dernier, mais qu’ils prient pour moi et célèbrent ma bonté après ma mort. Ingrats ! conclut Oblomoff d’un ton d’amer reproche.