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OBLOMOFF.

Et pourquoi faire ? Et à qui est-ce que je le dis ? N’est-ce pas toi qui m’as soigné depuis mon enfance ? Tu sais tout cela ; tu as vu que j’ai été élevé délicatement, que je n’ai jamais souffert ni du froid ni de la faim, que jamais je n’ai senti le besoin, que je n’ai jamais eu à gagner mon pain et qu’en général jamais je ne me suis occupé d’ouvrages de vilain. Comment dès lors as-tu pu avoir le courage de me comparer aux autres ? Est-ce que j’ai une santé de fer comme « ces autres ? » Est-ce que je puis faire et supporter tout cela ?

Zakhare perdit décidément toute faculté de comprendre le raisonnement d’Oblomoff ; mais ses lèvres se gonflèrent de l’émotion intérieure ; la scène pathétique grondait comme un orage sur sa tête. Il se taisait.

— Zakhare, reprit Élie.

— Monsieur ? miaula-t-il d’une voix à peine intelligible.

— Donne encore du kwas.

Zakhare apporta du kwas, et quand son maître, après avoir étanché sa soif, lui remit le verre, il voulut gagner lestement son cabinet.

— Non, non, reste ! continua Élie. Je te demande comment tu as pu offenser si cruellement le barine, que tu as porté enfant sur tes bras, que tu sers toute ta vie et qui te comble de bienfaits.