Page:Gontcharoff - Oblomoff, scènes de la vie russe, trad Artamoff, 1877.djvu/182

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
168
OBLOMOFF.

deux cents roubles. Je me le rappelle comme si c’était aujourd’hui, dit Zakhare.

— Eh bien ! est-ce une bagatelle ? dit Élie. Et comme on est mal à l’aise dans un nouvel appartement ! Que de temps il faut pour s’y habituer ! Mais il me serait impossible de dormir cinq nuits de suite à une nouvelle place. Je serais accablé de tristesse, si en me levant j’apercevais là quelque autre enseigne que celle de l’ébéniste. Je mourrais d’ennui si, avant dîner, à la croisée d’en face, je ne voyais s’avancer la tête de cette vieille aux cheveux courts… Comprends-tu maintenant à quelle extrémité tu poussais ton maître, hein ? demanda Élie d’un ton de reproche.

— Je comprends, murmura humblement Zakhare.

— Pourquoi donc me proposais-tu de déménager ? Quelle force humaine pourrait y résister ?

— J’avais pensé que puisque d’autres, voyez-vous, qui nous valent bien, déménagent, que dès lors nous pouvions aussi… dit Zakhare.

— Quoi ? quoi ? demanda Oblomoff avec stupeur en se soulevant du fauteuil, qu’as-tu dit ?

Zakhare resta interdit du coup, ne sachant en quoi il avait pu provoquer l’exclamation et le geste pathétique du barine. Il se taisait.

— D’autres qui nous valent bien ! répéta Élie avec épouvante : voilà où tu en es venu ! Maintenant je saurai que pour toi je ne suis pas plus qu’un autre !