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OBLOMOFF.

Vivant à deux, ils s’ennuyaient l’un de l’autre. L’expérience de la vie, la raison et la bonté du cœur ne suffisent pas à atténuer l’effet du contact journalier et intime de l’homme avec l’homme. Tout en jouissant des qualités, il est impossible de n’être pas blessé des défauts réciproques.

Élie reconnaissait à Zakhare un mérite éminent : le dévouement à sa personne ; il y était habitué, croyant aussi de son côté qu’il ne pouvait ni ne devait en être autrement ; accoutumé une fois pour toutes à ce mérite de Zakhare, il n’en jouissait plus, et cependant ne pouvait, malgré son indifférence, supporter patiemment ses innombrables petits défauts.

Si Zakhare, tout en nourrissant pour le barine dans la profondeur de son âme un dévouement particulier aux serviteurs de vieille trempe, en différait par les défauts de son époque, M. Oblomoff, de son côté, bien qu’il reconnût intérieurement le prix de ce dévouement, n’avait plus cependant pour son serf cette affection amicale, presque fraternelle qu’éprouvaient les anciens maîtres pour leurs domestiques.

Il se permettait même parfois d’en venir à de grosses injures avec Zakhare. À Zakhare aussi il était à charge. Après avoir dans sa jeunesse servi comme valet de pied dans la maison seigneuriale, le serf avait été promu à l’emploi de menin de M. Élie.