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déjà glacé, dont toute la vie semblait n’avoir jamais reçu l’ébranlement d’une vive émotion, qui passait tout son temps à rester assis dans une grande chaise, à manger des poires et des poissons séchés, et à raconter de petites anecdotes, et pourtant une douleur si longue et si poignante ! Qui donc a le plus d’empire sur nous, de la passion ou de l’habitude ? La fougue de nos désirs et de nos passions ne nous semble-t-elle donc si forte et si terrible que parce que nous sommes jeunes ? Toutes nos souffrances de jeunesse me parurent en ce moment de vrais enfantillages comparées à l’immortelle puissance d’une telle habitude. Plusieurs fois il s’efforça de prononcer le nom de la défunte, mais toujours, au milieu du mot, son visage s’altérait convulsivement et des sanglots d’enfant venaient me frapper au cœur. Non, ce n’étaient point là les larmes des vieillards qui se plaignent à tout propos de leur triste position et de leurs infortunes ; ce n’étaient pas non plus celles qu’ils versent quelquefois si facilement après un verre de punch ; non, c’étaient des larmes qui coulaient d’elles-mêmes, sans la volonté, sans la permission de pleurer, qui débordaient d’un cœur déjà froid, mais ulcéré par les pointes d’une douleur sans remède.

Athanase Ivanovitch ne survécut pas longtemps à ma visite. J’ai récemment appris qu’il n’était plus. Mais ce qu’il y a d’étrange, c’est que les particula-