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ils obtenaient du conseil de tutelle un assez fort emprunt, qu’ils se hâtaient d’emporter hors des limites de l’empire. C’est sur cette donnée bizarre, et toute empreinte de couleur locale, que Nicolas Gogol a établi son roman, où il trouve une occasion naturelle de passer en revue non plus seulement le tchin, mais tous les degrés de la société russe, et de lui montrer, plus librement encore qu’au théâtre, et dans un cadre plus vaste que le Contrôleur, tous les travers, tous les vices, tous les crimes, dont l’ont infestée l’absolutisme en haut, la servitude en bas.

Dès qu’il fut célèbre, Gogol fut perdu pour son pays. Il se vit fermer brusquement la carrière qu’il s’était ouverte avec tant de succès et d’éclat. Gêné, humilié par les sévérités toujours croissantes de la double censure qui pèse en Russie sur tous les produits de l’intelligence, il resta longtemps sans rien mettre au jour, et alla même se fixer à Rome pendant plusieurs années. Il venait de rentrer dans sa patrie, apportant de l’étranger des manuscrits nombreux, lorsqu’une mort prématurée l’a frappé subitement au mois de février dernier.

Cette mort, qui n’est point naturelle, a présenté des circonstances étranges et mystérieuses. Sans s’expliquer davantage, les lettres de Moscou qui l’ont racontée disent qu’elle fut tragique, sans doute volontaire, et le dénoûment d’une longue et douloureuse lutte qu’il ne pouvait pas plus longtemps soutenir. Ce qu’il y a de plus affligeant, c’est que Nicolas Gogol avait d’abord consommé son suicide