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étaient fait une enveloppe plus épaisse que le feutre le plus grossier. On peut se figurer la fatigue des pauvres chevaux, d’autant plus que le sol avait pour base la glaise, et une glaise de la qualité la plus poisseuse. Cette circonstance fut cause que la britchka ne put se tirer de là avant deux heures de l’après-midi ; et, sans la petite, cela eût été bien autrement difficile : car les chemins s’échappaient dans tous les sens, comme les écrevisses du marché, quand on les laisse sortir du sac, et Séliphane aurait été rossé sans que, cette fois, il y eût de sa faute. Bientôt la petite fille aux bottes de vase sèche montra de la main quelque chose de noir en disant : « Tiens, vois le grand chemin là-bas !

— Qu’est-ce que c’est que ce bâtiment ? demanda Séliphane.

— C’est l’auberge, dit la petite.

— Eh bien, à présent, nous arriverons bien nous-mêmes, dit Séliphane ; retourne vite chez les tiens.

Sur quoi il retint son attelage, aida la petite à descendre, et en l’assistant il la regarda pour la première fois et marmotta entre ses dents : « Que ça de boue aux jambes ! houuu, va-t-elle salir de la belle herbe d’ici chez elle ! »

Tchitchikof lui donna un gros de cuivre[1] ; elle tourna le dos à l’instant même, et commença son trajet par cinq ou six grandes enjambées joyeuses, car elle était heureuse et du superbe cadeau, et plus encore d’avoir trôné sur le siège d’une britchka.

  1. Une pièce de deux liards grosse au moins comme un sou de France.