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mieux faire, il alla se placer devant un trumeau, et aussitôt il éternua si violemment, qu’un dindon qui, au dehors, s’était approché des fenêtres, lui jabota, d’une vitesse incroyable, je ne saurais dire quoi, en son étrange langage ; je serais porté à croire que c’était du sanscrit primitif, et que le sens était celui de tous les compliments de bienvenue, ou bien encore le Dieu vous bénisse ! qu’on adresse de temps immémorial aux éternueurs de distinction.

Tchitchikof évidemment interpréta mal la démarche du beau piaffeur, car il répondit : « Oh ! la sotte bête ! » À cette occasion, s’étant mis tout près de la croisée, ce ne fut plus à l’honnête Indien qu’il pensa, mais au paysage local. Le paysage n’était guère qu’un nid à poules ; du moins la petite cour ou basse-cour qui s’offrait à ses yeux était toute remplie de volailles, à part un certain groupe de ruminants et d’immondes, plus une jolie chèvre blanche occupée debout à fermer une grosse porte d’étable, sans doute pour n’y plus rentrer de la journée. Les quadrupèdes semblaient là comme fourvoyés ; les poules et les dindons y étaient chez eux et en nombre innombrable ; au milieu de cette multitude allait et venait à pas mesurés un coq dont la crête ponceau se balançait en aigrette sur sa tête légèrement penchée de côté, comme quelqu’un qui cherche à entendre, en passant, ce qui agite et préoccupe la foule. Une truie était occupée à enseigner à toute sa jeune famille à faire l’analyse d’un tas d’ordures qui avaient du bon, et, tout en donnant ses explications, elle venait de tordre et d’avaler sans bruit un petit poulet, et se donnait le dessert d’une écorce de melon d’eau.

Cette basse-cour, où débordait la vie, malgré quelques cas inaperçus de mort violente causés par le mélange des races, cette volière sans plafond, où l’on s’étouffait et d’où rien ne s’envolait, avait une vingtaine de toises en carré, et se terminait au fond par une clôture de simples planches derrière laquelle s’étendaient de véritables champs à légumineux : choux, aulx et oignons, pommes de terre, betteraves, et toute espèce d’herbes moins encombrantes, mais