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verre que le maçon avait lancé dans cette direction.

Voyant dans ce hasard un heureux pronostic pour son avenir, il montra en triomphe le verre sur lequel étaient gravées les lettres _E, O_, initiales des prénoms du Baron (Édouard-Othon). Ce verre était un présent qu’un de ses parents lui avait fait dans sa première jeunesse, et comme il n’y attachait pas un très-grand prix, il avait permis qu’on le donnât au maçon pour la cérémonie.

La foule avait quitté l’échafaudage. Les invités du château les plus jeunes et les plus lestes s’empressèrent d’y monter ; ils savaient combien une belle vue dont on jouit sur le haut d’une montagne, s’embellit encore quand on peut s’élever de quelques toises de plus. Ils découvrirent en effet plusieurs villages nouveaux, et prétendirent qu’ils distinguaient le long sillon d’argent du fleuve qui coulait à plusieurs lieues de là ; quelques-uns furent jusqu’à soutenir qu’ils voyaient les clochers de la capitale.

Lorsqu’on se tournait vers les collines boisées derrière lesquelles s’élevait une longue chaîne de montagnes bleuâtres, on se croyait transporté dans un autre monde ; car le regard se reposait avec bonheur sur la large et paisible vallée où dormaient, entre de vertes prairies, trois étangs entourés d’aulnes, de platanes et de peupliers.

— Si ces nappes d’eau étaient réunies et formaient un seul lac, s’écria un jeune homme, ce point de vue ne laisserait plus rien à désirer, il aurait le cachet de grandeur qui lui manque.

— La chose serait faisable, dit le Capitaine.

— C’est possible, répondit vivement Édouard ; mais je m’y opposerais formellement, s’il fallait sacrifier mes platanes