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il fut porté au pressoir ; ces pièces de monnaies, toutes frappées depuis peu, donneront la date de cette construction.

« Nous tenons tous ces objets de la libéralité du noble seigneur qui fait bâtir. Si quelques-uns des spectateurs éprouvaient le désir d’envoyer à la postérité un messager de leurs pensées, une preuve de leur passage sur la terre, il y a encore de la place près de la pierre que nous venons de poser ! »

L’orateur se tut et regarda autour de lui ; mais, ainsi que cela arrive presque toujours en pareil cas, personne ne s’était préparé, et tout le monde garda le silence, honteux de s’être laissé surprendre ainsi. Tout à coup un jeune officier sortit de la foule et s’écria gaîment :

— Je ne laisserai pas ce dépôt mystérieux se fermer pour toujours, sans y ensevelir mon offrande. Arrachant aussitôt un des boutons de son uniforme, il le remit au maçon.

— J’espère, continua-t-il, que cet insigne belliqueux vaut bien la peine de parler un jour de nous à ceux qui n’existent pas encore.

Cette heureuse idée trouva de nombreux imitateurs ; les dames surtout se dépouillaient avec un empressement passionné de leurs flacons, de leurs bijoux, petits peignes et autres objets de toilette. Ottilie seule n’avait rien donné encore. A un signe d’Édouard, elle ôta de son cou la chaîne dont elle avait déjà détaché le portrait de son père, et la posa doucement sur les autres objets jetés pêle-mêle dans un coffre solide. Le Baron ferma aussitôt le couvercle, le fit cimenter et le couvrit lui-même de chaux.

La cérémonie était terminée, et le maçon reprit la parole d’un air grave :