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« Le travail du maçon, dit-il, est prédestiné d’avance à passer inaperçu. La terre cache les fondements qu’il a construits avec tant de peines et tant d’intelligence ; il n’a pas même le droit de se plaindre, quand le menuisier, le peintre et le sculpteur décorent ses plus hardies murailles, et font oublier ainsi son œuvre en faveur des leurs. Pour lui point de gloire, point de triomphe de vanité ! S’il fait bien, c’est pour sa propre satisfaction ; il faut que le témoignage de sa conscience lui suffise, il n’a pas d’autre récompense à espérer. Lorsqu’il passe près d’un palais qu’il a bâti, lui seul reconnaît son ouvrage dans les murs et les voûtes, décorés avec tant d’éclat ; si, en les construisant, il avait commis la plus légère faute, ils s’écrouleraient et feraient rentrer dans le néant tous ces ornements fragiles qui, seuls cependant, attirent l’attention et obtiennent des éloges. »

« Celui qui fait le mal à l’ombre du mystère, vit dans la crainte perpétuelle qu’un événement imprévu vienne le trahir ; pourquoi celui qui fait le bien sans qu’on daigne s’en apercevoir, n’espérerait-il pas qu’un jour on lui rendra justice ?

« Les hommes qui vivront longtemps après nous fouilleront peut-être ces fondements, et alors leur solidité témoignera de notre zèle, de notre adresse et de notre mérite. Qu’ils trouvent auprès de ces pierres quelques autres témoins de notre existence, et que ces témoins soient d’une nature moins sévère et moins grave. Voyez ces boîtes de métal, elles renferment des narrations écrites ; sur ces plaques de cuivre, on lit plus d’une inscription curieuse ; ce beau flacon de cristal contient un vin généreux, et l’on trouvera dans l’étui qui le renferme le nom de son cru, la date de l’année où