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Quand il lisait, il poussait la bougie du côté de la jeune fille qui s’approchait toujours plus près de lui, et suivait les lignes des yeux ; car elle aimait mieux se fier à sa vue qu’à la voix d’un autre. Loin de se fâcher, ainsi qu’il en avait l’habitude, en pareille occasion, il penchait son livre vers elle, s’arrêtait quand il était arrivé à la fin de la page, et attendait, pour la retourner, qu’elle l’eût averti par un regard qu’il le pouvait sans la gêner. Ce manège n’échappa ni à Charlotte ni au Capitaine, qui se bornèrent à en plaisanter entre eux. L’amour qui unissait Édouard et Ottilie ne commença à les inquiéter, que lorsqu’une circonstance fortuite leur en révéla tout à coup l’existence et la force.

Un soir, une visite importune les avait tous mis de mauvaise humeur. Édouard proposa de chasser cette fâcheuse disposition en faisant de la musique, et il demanda sa flûte dont il ne s’était pas servi depuis très-longtemps. Charlotte chercha les sonates qu’elle avait l’habitude d’exécuter avec son mari ; mais elle ne les trouva pas, et Ottilie finit par avouer en balbutiant qu’elle les avait emportées dans sa chambre pour les étudier.

— En ce cas, vous pourriez m’accompagner ? s’écria Édouard dont les yeux étincelèrent de joie.

— Je l’espère, répondit la jeune fille.

Elle courut chercher les sonates, et revint se placer au piano. Son jeu frappa le petit auditoire de surprise, presque d’admiration, car elle s’était identifiée avec les manières d’Édouard, qu’elle avait quelquefois entendu exécuter ces morceaux avec sa femme.

Si Charlotte savait presser et ralentir le mouvement et se plier à toutes les imperfections musicales de son mari, par complaisance et peut-être aussi pour lui donner une preuve de la supériorité de son talent, Ottilie ne