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et alors il lui semblait qu’un être céleste daignait le toucher pour se mettre en rapport avec lui. Dans son exaltation, il aurait voulu la voir chanceler, afin d’avoir un prétexte pour la recevoir dans ses bras et la presser sur son cœur, et cependant il n’aurait pas osé appuyer sa poitrine sur la sienne ; il aurait craint non-seulement de l’offenser, mais même de la blesser.

Nous ne tarderons pas à apprendre à connaître la cause de cette crainte.

Arrivé enfin au moulin, il s’assit en face d’Ottilie devant une petite table sur laquelle la meunière venait de placer une jatte de lait, tandis que le meunier courait au-devant de Charlotte et du Capitaine pour les amener par un sentier commode et sûr.

Après avoir contemplé un instant en silence sa charmante compagne, Édouard lui dit avec un trouble visible :

— J’ai une grâce à vous demander, chère Ottilie, et si vous croyez devoir me la refuser, pardonnez-moi, du moins, de ne pas avoir eu le courage de me taire. Vous portez sur votre poitrine le portrait de votre père, homme excellent que vous avez à peine connu, et qui, certes, mérite une place sur votre cœur ; mais le médaillon est si grand… je tremble quand vous prenez un enfant sur vos bras, quand la voiture penche, quand un valet passe trop près de vous, quand vous marchez sur un sentier raboteux… Si le verre venait à se briser !… Cette idée me torture sans cesse !… J’ai souffert horriblement tout à l’heure en vous voyant descendre les rochers… Ne bannissez pas ce portrait de votre pensée, donnez-lui la place la plus belle dans votre chambre, au chevet de votre lit ; mais él