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car il s’attendait à l’entendre parler de visions et d’entretiens nocturnes avec Ottilie. Mais si elle avait retrouvé complètement le souvenir du passé et la conscience du présent, sous tous les autres rapports elle persistait à croire à la réalité de ce qui lui était arrivé pendant l’enterrement de sa jeune maîtresse, et elle répétait sans cesse, avec autant de joie que de conviction, que le cadavre s’était redressé sur son cercueil pour l’appeler, lui pardonner et la bénir.

Ottilie continua à paraître endormie, aucun symptôme de destruction ne se fit sentir, et ce phénomène, joint au miracle que Nanny racontait à tout venant, attira les habitants de la contrée. Les uns venaient pour se moquer, les autres pour se confirmer dans leurs doutes, un très-petit nombre pour espérer et croire.

Tout besoin dont la satisfaction matérielle est impossible engendre la foi. Nanny, brisée par une chute terrible aux yeux de la population de tout un village, avait été rappelée à la vie par le simple attouchement des restes d’Ottilie, pourquoi d’autres malades ne jouiraient-ils pas du même bonheur ? Cette pensée devait nécessairement germer dans la tête des jeunes mères dont les enfants souffraient de quelque mal incurable, elles les apportèrent en secret près du cercueil, et les guérisons subites, qui peut-être n’étaient qu’imaginaires, augmentèrent tellement la confiance générale, que l’affluence des infirmes devint telle, qu’on se vit forcé de leur interdire l’entrée de la chapelle.

Édouard n’avait osé une seule fois aller visiter Ottilie. Ne vivant plus que de la vie animale, la source des larmes s’était tarie dans son cœur, il semblait être devenu inaccessible à la douleur morale. Ne prenant plus aucun