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C’est ainsi que naguère il s’était tenu debout devant Bélisaire ; en ce moment ce n’était pas l’art, c’était la nature qui le faisait retomber dans la même position. Ottilie, morte comme Bélisaire aveugle, offrait un exemple terrible des abîmes où s’engloutissent toutes les espérances de la terre. Si Bélisaire nous force à regretter la valeur, la sagesse, le rang et la richesse perdus par la volonté du même prince qui avait d’abord cherché à développer, à utiliser ses rares qualités ; on ne peut s’empêcher de voir dans Ottilie l’exemple de toutes les vertus modestes et bienfaisantes, à peine sorties des profondeurs mystérieuses où la nature se plaît à les cacher. Sa main froide et dédaigneuse, les avait détruites presqu’aussitôt comme si elle se plaisait à se jouer de l’espèce humaine, qui accueille toujours avec une joyeuse satisfaction, ces aimables et rares vertus dont l’influence lui est si nécessaire ; tandis qu’elle déplore leur absence par un deuil sincère.

L’Architecte garda le silence, Nanny ne proféra pas une parole ; mais lorsqu’elle le vit fondre en larmes et prêt à succomber sous le poids de sa douleur, elle lui parla avec tant de force et de vérité, tant de bienveillance et de persuasion, que tout en s’étonnant du pouvoir qu’elle exerçait sur lui, il voyait avec elle la belle Ottilie planer et agir dans les régions célestes. Ses larmes s’arrêtèrent, sa douleur s’adoucit, il se prosterna devant le cercueil, prit congé de Nanny par un cordial serrement de main, s’élança sur son cheval, et franchit avant le jour les limites de la contrée où il n’avait été ni vu, ni reconnu par personne.

Le Chirurgien, qui avait, à l’insu de Nanny, passé la nuit dans l’église, se rendit de bonne heure auprès d’elle, et s’étonna beaucoup de la trouver calme et sensée ;